Il y a des jours où l'on met inconsciemment son poétoscope sur prose.
Vous savez, la touche avec les deux gras traits verticaux.
L'on entend alors, dans la tête, comme le début d'un roman.
Venus d'un ailleurs très flou, les mots s'agencent. Une mélodie se compose. Une phrase déroule lentement le somptueux tapis de ses mots.
On s'imagine, debout à la FNAC, ouvrant un ouvrage ( oui , on ouvre un ouvrage ! ) dont la couverture vient d'allumer le regard, et déchiffrant ( oui, on déchiffre des lettres ! ) les premières lignes d'un premier chapitre. Comme poussant la porte déjà entrouverte ( antre ouvert ? ) d'une chambre inconnue.
" La palpitante pâle putain se refaisait une fraîcheur avant ce qui devait être le dernier micheton de la soirée. Elle était vêtue de sa seule jeunesse. Et ça lui suffisait… "
Cette mise-en-bouche, ou en oreille, cette mise-en-tête surtout, est une mèche qu'on allume. Les prémices d'un tonitruant spectacle pyrotechnique pour aveugles auquel les sourds ne verraient que du feu.
D'où sont venues ces syllabes qui ont mis le feux aux poutres de la charpente
d'un discours cohérent ? Palpitante pâle putain...
Depuis Bescherelle, le verbe se fait cher. À un "i" près. Et danser se congigue à deux temps. Médecin ludique jouant sur les maux, Grevisse y perd son bon usage.
Et si Magritte ne pipe mot il n'est jamais bien loin dès qu'un illusionniste fait sortir une lapine rousse des pages roses d'un dictionnaire.
Entre deux mots il ne faut pas toujours choisir le moindre.
L'esprit se met à parler tout seul à la manière d'un gars éthyliquement pré-imbibé qui tente, entre deux mots, de rétablir son équilibre et celui de sa phrase. Tout en ajustant sans arrêt la verticalité de son verre, l'index levé, à la manière d'un niveau d'eau ( d'eau ? ) de maçon pas très franc. Le verbe titubant, la récurrence lassamment répétitve. Il insiste. Baromètre au canon, séismomètre en bandoulière, Richter s'accroche aux échelons de son tabouret ! Les mots trouvent eux-mêmes leur place en prenant de l'indépendance. L'esprit lâche prise et branche le parlotage automatique. But avoué : atterrissage en fin de phrase sans trop casser de sens. Vol plané pâteux d'une limace provisoirement désengluée. Molle balle de squash qui peine à d-d-décoller pour tenter de reb-b-bondir du temporal au frontal en lobant le pariétal.
Foin des mots tus pour raison de bouche cousue.
Louvoyant entre les contrepèteries foireuses comme des pets intempestifs, évitant les approximations dérapantes, l'esprit tente un ultime arbitrage désespéré. Quand les e-maux des e-mails se mettent à émailler la langue, la partie est perdue d'avance.
Il faut croire, aujourd'hui, que les mots auront le dernier mot.
" Le dernier micheton était sympa et pas complexe. Looser lucide. Du genre direct ; bitu et à toi… Mais déjà busé avant examen. C'était du beau gosse à casser de la jarretelle. Et à faire péter les étoiles. Dès les premières marches de l'escalier, le palpitant de la pulpeuse pâle putain passa en mode tachycardie. Elle savait que ce mignon-là avait déjà sa place dans le tiroir des inoubliables… "