Santorin
Une île ne s'approche que par la mer.
Comme une douce drague.
Où le regard caresse sans que les mains ne bougent.
De vagues prémices, qui laissent entrevoir une promesse imprécise.
Mais que l'on imagine quasi divine.
Et l'on croit naïvement toujours être le premier à y poser le tong.
Il ne faut pas aborder l'Égypte par les pyramides.
Au risque de trouver riquiqui la forêt de piliers de Karnak.
N'abordez pas les Cyclades par Santorin.
Au risque de trouver fades certaines autres douceurs pourtant
uniques d'authenticité.
Santorin.
Ça commence par un petit bout d'île.
Normal. Rocheux. Avec de blanches maisons.
Et plus le ferry avance, plus ça monte.
Et plus on se dit qu'on y est.
Les falaises zébrées enserrent le lac cratère dans leurs
bras déchirés. Striés des couleurs fortes du cœur de la terre.
Est-ce la terre qui se hausse, ou le bateau qui s'enfonce ?
Les villages saupoudrent la crête.
La ville tente une coulée blanche sur une coulée de lave rouge et noire.
Laissant le zig-zag du sentier des mules s'étendre
comme un ressort qui touche le vieux port.
Le dernier séisme de 1956 a fait fuir les habitants.
Des hôteliers venus d'ailleurs ont compris.
Accrochant terrasses, piscines et balcons aux murs de roche volcanique
qui plongent en piqué dans l'ancien cratère inondé.
Les touristes ont suivi.
Et comme le soleil a souvent la bonne idée de se coucher,
en toute majesté, à l'occident de leurs regards pâmés,
ils reviennent.
Et font revenir les yeux du monde entier.
Entretenant la légende.
Soufflant sur les tisons du mythe.
Sans un sou de pub.
Ici, en plus du spectacle géologique et des éruptions
romantiques à fleur de chair de poule, flotte par moments
comme une idée excitante de danger.
Danser sur un volcan ? Il y a un peu de ça.
Certains s'entêtent à prendre eux-mêmes "la" photo,
presque toujours la même. Celle de "la" carte postale,
avec le coucher de soleil et les deux églises. Celle, qui
immortalise Santorin dans toutes les brochures de tous les voyagistes
du monde.
D'autres se contentent d'acheter "la" carte postale et de se faufiler
dans les failles de la compacte et cosmopolite foule sentimentale
qui, une heure à l'avance s'agglomère aux points de vue stratégiques
dûment labellisés : "sunset view".
Santorin se mérite à la force des sandales.
Seule la marche autorise la multiplication des regards embrassants.
Embrasants aussi.
Au bord de la piscine du bien nommé hôtel "Volcano view",
deux jeunes Asiatiques en maillot tournent le dos au cratère
inondé.
Leurs smartphones Samsung chauffent. Facebook à l'ombre et nuques au soleil.
Les restos notés au Routard, chez Trip Advisor ou dans Lonely Planet
se frottent les mains. Leurs voisins se tournent les pouces, le regard sombre.
À une table voisine, un couple de filles tatouées. Elles boivent des bières en caressant leur iPad du bout des doigts. Vive le Wi-Fi gratuit. Sur la table le très épais Lonely Planet Europe, laisse supposer qu'elle ne s'arrêteront pas que dans les îles.
À côté, des Singapouriens étudiant à Londres. Deux gars et leurs copines. Ils vont repasser par Athènes, avant Barcelone. Tous iPhones dehors. Branchés sur d'autres fuseaux horaires.
Un couple de Flamands sympas et écarlates commande un boulettes frites.
Sans savoir que ce sont les boulettes qui sont frites. Et que les frites sont en supplément. Artistement cramés par deux journées de scooter, ils profitent à fond de leur dernier jour dans les Cyclades. Après le tour de Paros en quad et Naxos en buggy.
Comme dans Lucky Luke, lorsque le ciel enflamme la dernière case, chacun regarde s'éteindre le ciel de Santorin et s'allumer les villages sur les crêtes.
Le dernier bateau ramène les derniers excursionnistes au port. L'autocar fait briller ses phares sur les lacets de la route.
Chacun laisse doucement le bleu et le blanc lasser sa mémoire déjà défaillante.
Qui mélange les noms des villages qui ont fait défiler leur murs éclatants et leurs dômes pastels.
Chacun achève sa piste Cyclades en roue libre.
La cuisse raffermie et le cuir un peu plus tanné.
Mais surtout, l'esprit libéré et le regard lavé.
Pour un bon petit bout de temps.